Karukéra, île aux belles eaux
Si tu veux voir mon cœur, prends le bon chemin
Qui court sur les falaises arrosées du crachin
De la vague gonflée éclaboussant la « caya »,
Faisant jaillir l’écume au détour de la faille.
Tu verras tout là-bas la grosse houle verte
S’enfler en s’approchant, et changer de palette,
Passant par l’émeraude et, se changeant de sable,
Blanchir en déferlant, s’écrasant sur la plage.
Si tu veux voir mon cœur, prends les petits sentiers,
Ecoute roucouler perdrix et ramiers,
Noyé dans les fougères tout au pied des grands arbres,
Nourrissant la ciguine et l’orchidée sauvage,
Tu verras le soleil chasser les flots de la brume
Tandis que la rosée séchera son écume.
La chaleur peu à peu envahira les bois
Faisant jaillir les odeurs du sous-bois.
Si tu veux voir mon cœur, rencontrer les pêcheurs
Ravaudant leurs filets et sifflant tous en chœur.
Ils te raconteront leurs combats, sous les grains,
Leurs émois dans la brume à chercher leur chemin.
Ils te diront aussi combien il fait si bon
Revenir en soirée, retrouver sur le pont
Les clients, les amis et la tendre doudou,
Oubliant les fatigues en buvant un bon coup.
Si tu veux voir mon cœur, prends le bateau des îles
Et tu verras les Saintes et sa rade tranquille,
La Désirade aussi et ses plages dorées,
Marie-Galante enfin et son rhum haut degré.
Blancs, Noirs et Mulâtres ont un rare passé ;
Ils savent qu’ils ont fait notre ‘‘ créolité ’’.
Les liens indélébiles acquis sur plus d’un siècle
Ont bâti notre histoire et forgé nos réflexes.
Karukéra, vois-tu, fière de son passé,
N’accepte que les gens qui veulent s’intégrer.
Les passants, les avares ne sont point appréciés.
Il faut vivre les îles pour pouvoir y rester.
Michel Ffrench